Née le 4 novembre 1744, Jeanne VALENTIN, la sœur de Pierre et de Claude, se marie, à trente deux ans, le 20 août 1776 avec " Pierre BONNET " fils de Pierre et de Jeanne THIVEND. En fait, il faut lire AUBONNET.
Dans l’acte de mariage il est précisé pour Jeanne " fille des défunts Pierre VALENTIN et Léonnette POISAT ". L’épouse procède " du consentement de Pierre VALENTIN, curateur nommé (pour cette occasion) par acte en datte du quatorzième du présent mois reçu par Maître THIVEND, notaire royal au dit lieu" (de Cours).
A signaler la consanguinité au troisième degré des époux, c’est à dire un trisaïeul commun, et la dispense signée par le vicaire général du diocèse.
Les minutes du notaire THIVEND ne sont pas encore, à l’époque, déposées aux archives du Rhône. Grâce à l’obligeance de Maître Alain FARGEAT, notaire à Thizy et lointain successeur de Maître THIVEND, nous avons pu avoir communication de cet acte du 14 août 1776.
Malgré son écriture fine et serrée, très difficile à lire, en voici le texte :
"Par devant & fut présent Pierre BONNET, tixerand demeurant en la paroisse de Cours, fils d’autre Pierre BONNET aussy tixerand de la dite paroisse, et de la déffunte Jeanne THIVEND ; futur époux d’une part, procédant de l’autorité de son dit père icy présent, et Jeanne VALANTIN, fille des déffunts Pierre VALANTIN et Léonnette POIZAT, (de leur) vivants aussy tixerands de la paroisse de Cours, future épouse d’autre part, procédant de l’autorité, avis et conseil de Pierre VALANTIN, son frère aussy tixerand de la paroisse, icy présent, lesquelles parties de gré ont fait entre elles des promesses de mariage, et pour l’éxécution d’ycelles ont promit de se présenter en face de l’Eglise pour y recevoir la bénédiction nuptialle à première réquisition de l’un ou de l’autre, En faveur du quel mariage ledit Pierre AUBBONNET, père du futur époux, a fait donation pure et simple, irrévocable entre vifs et (mots incompréhensibles) dès à présent, il a ... ? au futur époux, son fils ci-acceptant, de la moitié de tous ses biens meubles et immeubles présents et à venir, à l’exception de ce qui dépend de l’hoirie de défunt Benoît BONNET son frère, qu’il se réserve en total, la présente donation faite à la charge par le futur époux de payer la moitié des dettes du donnateur et les légitimes de ses autres enfants ; tant faits que ceux cy après réglés ; qui sont de payer à Benoîte et autre Pierrette et Claire BONNET, ses trois filles, et à chacune d’elles la somme de trente livres, outre ce qu’il leur a déjà constitué par leur contrat de mariage, les dites sommes pour leur tenir lieu de tout suplémens de légitime dans les biens et succession de leur père et mère. Les dites sommes payables aux susdites légataires après la mort de leur père et mère, et sans intérêts jusqu’à...... ? ".
" Et à Jean BONNET, son fils, la somme de quatre cent trente livres, avec une paire de métiers (à tisser) garny de touttes ses ustencilles, et le pouvoir de travailler à son proffit dans la boutique de la maison paternelle jusqu’à l’âge de trante six ans, pendant lequel temps il sera nourri, logé par le donnateur, le donnataire, en leur donnant annuellement dix huit mesures de bled seigle à la mesure de Thizy, avec une coupe de sel, outre quoy ledit léguataire aura le pouvoir de se servir du cheval ou mulet qu’il pourra y avoir dans la maison, au cas où il n’y en aurait point, il pourra en acheter un, qui sera nourri aux dépens dudit donnateur, le donnataire qui, au cas où, aura le pouvoir de s’en servir conjointement avec le légataire".
"Luy sera en outre fourny de l’huille pour son usage lorsqu’il sera dans la maison, provenant des graines de chanvre qui seront cueillies par le donnataire. Ladite somme et facultés cy dessus accordées audit Jean BONNET pour tous ses droits de légitime, actions ? et prétentions ? particulières, les parties de biens qu’il pourrait avoir cy .... ? le prétendre ? dans les biens hoirie et succession tant de son père que dans ceux de sa déffunte mère".
"A luy payable la susdite somme à (son) mariage en majorité, et aux termes qui seront réglés par leur plus proche parent, et sans intérêts, jusqu’à la date ? des autres termes, .... ? pas pour être réglés ?.....le donnateur que ladite somme luy soit payée en cinq payement d’année en année, dont les quatre premiers payements seront de chacun cent livres, et le cinquième de trente livres, et sans intérêts jusqu’à l’échéance, à chacun payement ?.... ? "
" Quant à l’autre moitié des biens dudit donnateur (Pierre AUBONNET, père),entre autres réserves cy dessus signifiées, il se les réserve pour en faire tester et en disposer à son gré, et au cas où il viendrait à mourir sans eschoir (sans avoir dit à qui ces biens iront) il dispose, il veut et entend qu’elle arrive et appartienne à son fils donnataire, luy en faisant au dit cas même et semblable donnation que celle cy dessus, à la charge pour luy, par ledit donnataire de payer la totalité de ses dettes léguales, de loger, nourrir et entretenir Claude BONNET, oncle dudit donnataire, pendant sa vie au cas qu’il veuille rester dans la maison et qu’il ne s’établisse pas ; de faire inhumer ledit donnateur suivant son état et condition, et de faire célébrer pour le repos de son âme cinquante messes à haute voix et cinquante à voix basse ; de toutes (selon) l’office des morts et les autres (messes) celles de ses trois services à chacune dès qu’il en sera célébré, deux grandes messes les quatre huit (lire " les quarante huit ") messes ci dessus ordonnées, il sera loisible au dit donnataire de faire celebrer au bon choix (qu’il) luy semblera".
Arrêtons quelques instants la lecture pour bien comprendre.
Les parties en présence tout d’abord :
Pierre AUBONNET et Jeanne THIVEND (décédée le 14 mars 1762) ont comme enfants : Pierre, futur époux ; Jean et trois filles : Benoîte, Pierrette, (celles ci doivent déjà être mariées en 1776) et Claire (Elle se marie avec Etienne BESASSIER le même jour que son frère Pierre).
Pierre AUBONNET, le père donateur, a deux frères : Benoît, déjà décédé en 1776, et Claude, qui doit être veuf ou célibataire et vivre avec lui.
Pierre AUBONNET organise autant le mariage de son fils Pierre que son testament puisqu’il règle même ses messes de funérailles !
On peut résumer la donation de Pierre AUBONNET en quatre points :
1/ Il donne à son fils Pierre, futur époux, la moitié de tous ses biens, meubles et immeubles, présents et à venir, sauf ce qui vient de l’héritage de son frère Benoît BONNET. A charge pour le futur époux de régler la moitié des dettes que son père laissera à son décès. Il doit aussi nourrir et loger son oncle Claude BONNET, si celui ci souhaite rester chez son frère Pierre où il habite.
2/ A ses trois filles, il laisse 30 livres chacune, que leur frère Pierre doit leur payer au décès du père.
3/ A Jean son fils, il donne 430 livres plus de l’outillage et deux métiers à tisser, ainsi que la possibilité d’habiter chez lui jusqu’à trente six ans, d’y travailler avec plusieurs avantages, comme d’utiliser (ou d’acheter) le cheval de la maison.
4/ Ces 430 livres léguées à Jean seront réglées à partir de sa majorité, ou de son mariage, en cinq paiements annuels, quatre de 100 livres et le cinquième de 30 livres.
Un peu de généalogie pour mieux comprendre encore !
Jean VALENTIN et Antoinette JOLY ont, entre autres, deux enfants :
- Benoît VALENTIN, né le 9 décembre 1666, épouse le 29 janvier 1698 Benoîte CHALUMEL. Il est décédé le 30 octobre 1740.
- Pierre VALENTIN, né le 4 novembre 1678, épouse le 24 novembre 1705 Jeanne CIROT.
De ces deux unions naissent à Cours :
- Pierrette VALENTIN, née le 8 janvier 1700, épouse le 31 août 1723 Claude THIVEND, né le 13 janvier 1705 de Jean Baptiste THIVEND et de Léonet SANY. Claude est décédé le 17 décembre 1766. Pierrette VALENTIN décède le premier mai 1779.
- Pierre VALENTIN, né le 4 novembre 1707, épouse le 4 septembre 1741 Léonnette POYZAT, née le 24 novembre 1716.
De ces deux unions naissent à Cours : - Jeanne THIVEND, née le 10 novembre 1727, épouse le 19 septembre 1747 Benoît BUFFIN. Epouse en secondes noces le 20 janvier 1750 Pierre AUBONNET (père), né le 9 janvier 1716 de Philibert (le Cadet) et de Benoîte CLAIRET, décédé après 1776. Jeanne THIVEND décède le 14 mars 1762.
- Jeanne VALENTIN, la mariée du 20 août 1776, née le 4 novembre 1744.
De cette union naissent : - Benoîte le 9 avril 1751.
- Pierrette le 11 février 1753 Claire le 13 avril 1755.
- Pierre AUBONNET (fils) né le 23 février 1757, le marié du 20 août 1776.
- Jean Baptiste le 14 octobre 1759.
Pour le marié, Jean VALENTIN est son trisaïeul.
Pour la mariée, Jean VALENTIN est son bisaïeul.
En droit canonique, l’absence d’un " empêchement dirimant " entraîne la nullité du mariage. L’un de ces " empêchements " est " l’incapacité relative " c’est à dire susceptible d’être levée par une dispense : notamment, en ce qui nous intéresse, "l’empêchement de parenté " Les époux doivent être totalement étrangers l’un à l’autre. C’est pour cela que " la parenté naturelle " ou consanguinité constitue un empêchement jusqu’au quatrième degré. Le degré canonique correspond à une génération, l’interdiction au 4e degré vise deux jeunes gens ayant un trisaïeul commun. C’est le cas pour le mariage de Jeanne VALENTIN et de Pierre AUBONNET, empêchement levé par une dispense.
Reprenons le fil du contrat de mariage :
" Et en même faveur s’est aussy étably ledit Pierre VALANTIN, frère de ladite future épouse, hérittier et donnataire de ses père et mère communs, lequel de gré a constitué en dotte de mariage à la future épouse le compte et la somme de neuf cent livres, un lit garny de coëtre (couette) et traversin de belle qualité, draps et toille de ménage, dans une armoire de valleur de vingt une livres ; et la somme de vingt quatre livres pour luy tenir place des ridaux (de lit), tour de lit et couvertures, et est la dite somme et effets légués à la dite Jeanne VALANTIN tant pour tous ses droits de légitime qui luy ont été fixés par ses père et mère par leur disposition de dernières volontés (un testament fut peut être rédigé à une date récente et déposé chez le même notaire ?) que pour tout suppléments de légitime et autres droits quelconques qu’elle pourrait répéter ? dans leurs hoiries et succession auxquelles elle renonce en faveur de son frère au moyen de la dite constitution, de laquelle (somme) il en a été payé présentement , réellement et comptant aux futurs époux et épouse (Pierre AUBONNET et Jeanne VALENTIN) celle de cent cinquante livres ainsy qu’ils le reconnaissent, s ’en contentent et quitte (en donne quittance). Ils promettent faire tenir quitte ledit Pierre VALANTIN de tous autres, lequel Pierre VALANTIN promet s’obliger payer les sept cent livres restantes, scavoir cinquante livres de la datte des présents (13 août 1776), à la mi-an cinquante livres autre année après, et ainsy à continuer à cinquante livres pendant les quatre premières années, ce qui fera deux cent livres, quant au surplus, il promet et s’oblige les payer après les quatre années suivantes les payements de cent livres d’année en année, à l’exception du dernier qui sera de cinquante livres ; et le tout sans intérêt jusqu’à l’échéance de chaque terme. Outre quoy ladite future épouse se constitue son trousseau filial que les parties ont évalués avec ceux cy dessus qui ne l’ont pas été, à la somme de quatre vingt dix livres. Fait ledit futur époux acquiesement à la dite future épouse, si elle le gagne ?,de la somme de deux cent quarante livres à prendre... ? sur les biens les plus liquides dudit futur époux, ainsy d’accord entre les parties qui ont promis l’exécution de ce que dessus par promesses, obligations, sans renonciation des clauses requises".
Pour bien comprendre, arrêtons nous encore :
Pierre VALENTIN, frère de Jeanne la future épouse, constitue une dot de 900 livres à sa sœur : un lit avec sa literie, plus une armoire pour 50 livres (21livres pour l’armoire et 24 livres en argent à la place des rideaux, du tour de lit et de la couverture). Il paye de suite en août 1776, 150 livres, et sur le solde de 700 livres, 50 livres à " la mi-an " prochaine, puis 50 livres par an pendant quatre ans (soit 200 livres), puis 100 livres par an pendant encore quatre années, sauf la dernière qui sera de 150 livres (soit de 1777 à 1785). La future mariée " se constitue " un trousseau d’une valeur de 99 livres, en compensation de sa part de "légitimes" c’est à dire sa part d’héritage qui lui est obligatoirement réservée. L’épouse est autorisée par son futur de disposer de 240 livres à prendre sur " ses biens les plus liquides ".
Le document se termine ainsi :
" Fait et passé dans mon étude à Cours, le treize aoust mil sept cent soixante et seize après midy, en présence de Noël AUBBONNET, habitant demeurant en la paroisse de Cours, et de François LAROCHE, habitant demeurant en la paroisse d’Ecoches (au nord de Cours, non loin de Belmont de la Loire) témoins requis qui n’ont signés, ny les parties pour ne savoir écrire ainsy qu’ils l’ont déclarés, de ce requis et sommés, à l’exception dudit Pierre VALANTIN qui a signé
THIVEND, notaire royal " (suit le détail des frais d’enregistrement de l’acte à Thizy le 14 août).
Jeanne VALENTIN ne restera mariée qu’à peine trois ans. Elle meurt le 15 mars 1779. Pierre AUBONNET se remarie le 6 juillet 1779 avec Marguerite ACCARY. A nouveau veuf, il se marie le 10 février 1784 avec Anne BUFFIN. Il décède après 1802, ayant enterré sa troisième épouse le 25 mars.
Comme le dit Annie MOULIN dans " Les paysans dans la société française ", " la majeure partie des biens fonciers de la famille est cédée à l’un des enfants, non par voie testamentaire à la mort du père, mais au moment du mariage du futur héritier. Une sorte de charte successorale qui prévoit l’avenir de chacun des enfants, et la cohabitation des parents avec le couple est passée devant notaire. Le dédommagement des autres héritiers se fait sous forme de dots en argent ou de biens " mobiles " (meubles, trousseaux surtout)... ".
Colin LUCAS, dans son étude sur " les sources du comportement politique de la paysannerie beaujolaise " apporte cette précision importante :
" Dans cette forte imbrication du textile dans l’agriculture....les pères grangers, fermiers ou petits propriétaires nourrissaient leurs fils pendant toute l’année contre le travail des champs depuis la Saint Jean jusqu’à la Toussaint, et le travail sur le métier fourni par le père pendant le reste de l’année. A la mort du père, le métier forme un des premiers articles de la portion d’hérédité que chaque aîné est tenu de délivrer à chacun de ses cadets. En somme, les jeunes pères (signalés) tisserands aux fonts baptismaux (lors de baptêmes de nouveaux nés) pouvaient fort bien être souvent des laboureurs en attente d’héritage, tout comme...l’on voit des jeunes filles de grangers travailler chez d’autres grangers comme domestiques... "
Colin LUCAS note " l’existence d’un réseau matrimonial...qui unissait les tisserands ou leurs enfants aux domestiques et aux journaliers ("33% des mariages de journaliers à Azolette -tout près de Propières- par exemple) C’était là l’élément pauvre dans le monde du textile ".