BRISSON, inspecteur des manufactures, écrit en 1770, dans ses « Mémoires historiques et économiques sur le Beaujolais », que GROBERT, son prédécesseur, fit venir de Normandie les premières fileuses de coton vers 1734. Elles formèrent des élèves d’abord à Régny et aux alentours.
En 1750, TRUDAINE, souhaitant développer cette activité dans les montagnes beaujolaises, rencontre beaucoup d’obstacles : « (Le peuple) voulut battre à Cours le nommé BURNICHON envoyé avec sa fille pour y enseigner [le filage]. C’était en 1756. On disait que les fileuses seraient enlevées pour les Isles, que le coton était malsain, que ce filage ferait abandonner celui du chanvre, que les impositions générales allaient être augmentées... »
« D’autres personnes disaient que les gages des domestiques hausseraient, que l’on n’en trouverait plus... » et autres bruits alarmants répandus par la population craignant le progrès.
« Il est arrivé que le filage du coton s’est établi et perfectionné... Que personne n’a été arraché de ses foyers... que nombre d’enfants et de jeunes filles ont pu demeurer dans la maison paternelle sans être réduits à aller servir, que ceux ou celles qui ont été obligés de servir (c’est le cas de Claudine CORGIER, l’épouse de Claude Valentin, mon aïeul du côté maternel, partie domestique à Cours) ont trouvé de meilleurs gages dans la campagne et ont été moins tentés d’aller se perdre dans les villes... »
BRISSON conclut en quatre mots : « L’industrie y entretient l’agriculture ». C’est ce que confirme ROLAND DE LA PLATIERE, successeur de BRISSON, en parlant du tissage des toiles : les « toiles de Saint Jean » sont pour les montagnes du Beaujolais et les paroisses limitrophes du Mâconnais un des plus forts objets de consommation. C’est le fil de chanvre qui est tissé. Pour les « futaines et basins » on utilise le fil de coton.
Colin LUCAS [1] explique qu’à la fin de l’Ancien Régime, dans la Montagne beaujolaise, la pression démographique était grande : « Cette croissance fut essentiellement régionale car, malgré un brassage considérable de la population au sein des monts du Beaujolais, les registres (paroissiaux) démontrent que les origines des immigrés à chaque village ne dépassèrent guère un rayon de quinze kilomètres... »
De là, une main d’œuvre importante et peu exigeante dont a besoin cette industrie textile en plein développement... [2] : « Dès les années 1760 BRISSON notait un chiffre d’affaires annuel de trois millions de livres ; vingt ans plus tard ROLAND DE LA PLATIERE le calculait au triple. À la veille de la Révolution, il semble qu’un quart du coton travaillé dans le royaume sortait des Monts du Beaujolais... Il ne fait pas de doute que... ce fut dans un premier temps un facteur de prospérité... À comparer les prix de la main d’œuvre cités par BRISSON et ROLAND, on voit que le tisserand gagnait entre 1 livre 10 par jour et 2 livres par jour en 1786 contre 6 sous dans les années 1760, et la fileuse pouvait gagner entre 15 et 20 sous contre 4 à 5 sous auparavant.
Mais cette prospérité n’est pas partagée équitablement... et puis, la crise arriva avec de nouvelles techniques de filature... La Révolution qui éclate n’arrange rien. Le tissage fut pendant les XVIIe et XVIIIe siècles l’apanage des artisans.
Au XVIIe siècle, en majorité les tisserands ruraux étaient des artisans indépendants, achetant leur matière première, la faisant filer dans la famille, l’œuvrant eux-mêmes sur des métiers leur appartenant et la revendant enfin dans les marchés aux négociants de Lyon.
Au XVIIIe siècle, au contraire, la majorité des tisserands ruraux se composait encore d’artisans ayant leurs métiers mais ne travaillant plus qu’à façon pour les gros fabricants du pays... Avec les guerres de Louis XIV et leur cortège lugubre de multiples misères, la condition des tisserands montagnards devint un enfer, dont l’effroyable disette de 1694 fut la porte... Dès lors, la synonymie est absolue entre pauvres et tisserands. »
L’intendant BRISSON traduit bien la difficulté des temps [3] : « ... L’hiver rigoureux de 1709 marque le point culminant (à cette misère)... La prospérité fut longue à revenir chez les tisserands... La grande majorité de ceux ci, dispersés dans les villages de la Montagne étaient des cultivateurs ne s’occupant de la fabrication des toiles que dans les intervalles laissés par les travaux des champs ; leurs domestiques les aidaient au tissage... Leurs femmes et leurs enfants s’employaient à la filature, à la préparation ou au lavage des fils... »
« Il est d’expérience, du moins dans nos montagnes, que l’agriculture n’est pas une ressource plus certaine que l’industrie et qu’elle est moins abondante... Il est des lieux où les productions actuelles du territoire sont impuissantes à nourrir tous les hommes qui y sont nés, et telles sont les montagnes du Beaujolais. Il était de toute nécessité d’y développer les arts. Celui de la toile y convenait beaucoup par sa facilité et par son utilité. Il n’exige pas des mains adroites et ses produits ne sont pas très sujets aux caprices de la mode. Nos hivers sont souvent très longs et très rigoureux. Tout récemment, dans le mois de décembre 1769, janvier, février, mars 1770, il n’y a presque pas un jour où nos cultivateurs aient pu former un sillon. N’est il pas heureux qu’on ait alors à faire de son temps un emploi utile et toujours prêt ? »
« ... L’abandon du travail de la terre pour le tissage se dessinait dans toutes les vallées du Reins et de la Trambouze... La situation la plus avantageuse était encore celle des pères de famille, grangers, métayers ou possesseurs de quelque fond, s’employant au tissage pendant la saison froide. »
Sur cette question, pour plus de détails sur l’aspect économique, on lira avec profit l’article d’Alain BELMONT « Quels artisans au village ? L’exemple du Lyonnais et du Beaujolais - du XVIIIe au début du XIXe siècle » [4] ainsi que mon article "Mariage entre tisserands".