La camaraderie P.G
Yves DURAND écrit : « Les témoignages illustrent constamment ces liens noués par chaque P-G avec quelques-uns auxquels il s’est particulièrement attaché en fonction des circonstances exceptionnelles vécues en commun. Dès le début pendant les transferts, à l’arrivée au camp en Allemagne, le souci majeur de chacun est de rester avec son ou ses copains ! On s’arrange pour être dans la même baraque, autant que possible dans des lits voisins. Quand ont lieu les départs en kommando, on fait tout pour ne pas se quitter, pour être affectés ensemble dans les mêmes lieux... L’origine provinciale crée les premiers rapprochements. Mais il est des affinités nées de rencontres au hasard des premiers temps de la capture. Il en est d’autres qui naissent entre hommes simplement parce qu’ils sont, sans l’avoir voulu, voisins de chambrées ou de kommandos... La camaraderie P.G c’est le lien direct, étroit, privilégié avec quelques-uns uns. »
L’amitié avec DREVET est née parce qu’ils étaient au combat dans le même régiment, étaient ensemble dans la débâcle de 1940. Ils ont partagé beaucoup d’évènements difficiles comme à Dunkerque et pendant les harassantes marches de prisonniers.
En juin 1940, sur les plages de Dunkerque, dans la foule des soldats, un jeune Adjudant du 403e Régiment d’Artillerie D.C.A est capturé par les Allemands. Il s’appelle Jean GOUZY. Il a trente ans. Il deviendra après guerre l’ami de Marius Gaston GUIRONNET et Charles DREVET.
Arrivé un peu plus tard à Waldbröl, il vit les mêmes conditions de captivité. Son témoignage nous est précieux.
Le kommando 292 à Waldbröl est surveillé par un sous officier allemand qui commande quelques simples soldats. De temps en temps, il est remplacé. Il doit changer de kommando ou il est appellé au front. Un adjudant-chef allemand est surnommé « Moustache » par les prisonniers, sans doute arbore t’il une belle paire de bacchantes. Le nom du sous-officier GASNER a aussi échappé à l’oubli.
Le kommando ne dépend plus de Bocholt (Stalag VI.F) mais de Bonn (Stalag VI.G).
Les relations des P.G avec leurs gardiens, plus ou moins dures, varient suivant l’humeur du chef de poste ou les instructions reçues de ses supérieurs hiérarchiques. Elles dépendaient aussi des évasions de prisonniers et peut être des événements de la guerre.
- Groupe de prisonniers à Walbrol
Le photographe de Waldbröl, un nommé Adolphs, réalise ce cliché dans les premiers temps de la captivité, probablement après décembre 1940 et avant avril 1942. L’instrument tenu par l’un des prisonniers ne signifie pas que ce soit un musicien ! Il a servi à au moins deux autres, pas musiciens non plus, pour d’autres photos : ça faisait mieux. Il y a eu aussi un accordéon qui jouait le même rôle que la cithare et changeait de titulaire.
Rangée du haut, de gauche à droite (debout) : Catenne, Guironnet, Drevet, Gaubert, Gat, Capdevielle.
Rangée du bas, de gauche à droite (accroupis) : Clément-Guy, Perbost, Gouzy, inconnu. |
Le K.d.F Hôtel
Dès les premiers jours de leur arrivée, les deux amis sont affectés à la construction d’un grand bâtiment : le K.d.F Hôtel.
K.d.F sont les initiales de « Kraft dùrch Freüde » (la force par la joie) organisation créée en 1933 qui avait pour but de favoriser les ouvriers pour leurs loisirs, notamment en créant des hôtels qui les accueillent à peu de frais pendant leurs congés. La construction du K.d.F Hôtel à Waldbröl est déjà commencée à leur arrivée, ce doit être un bâtiment de grande longueur et de quatre étages.
Y travaillent des maçons et des charpentiers allemands réformés ou trop âgés pour être mobilisés pour la guerre. Travail à l’ancienne, lent et bien fait.
La qualité de l’air peut, certes, expliquer la présence à Waldbröl de cet hôtel.
L’existence aux environs de Waldbröl d’une propriété appartenant au « Docteur » Robert LEY, fondateur du Front allemand du Travail (syndicat unique du Reich), peut être à l’origine du choix de Waldbröl pour cette construction.
En effet, LEY est né en Rhénanie en 1890, à côté de Cologne. Il doit son titre de Docteur à sa formation d’Ingénieur chimiste. Des prisonniers du kommando 292 ont eu a travailler dans sa propriété et l’ont surnommé « le cochon de Ley » Arrêté par les Alliés, LEY se suicidera en1945 avant d’être jugé à Nuremberg.
Les K.G sont accompagnés par les soldats pour aller au travail et en revenir.
Sur le chantier du K.d.F, les prisonniers français sont encadrés par un contremaître allemand.
Les hommes l’ont surnommé « Tommix », vraisemblablement à cause de son chapeau. Les K.G côtoient des ouvriers allemands : Prosper, Lincwise, Pampouse... Certains d’eux ont reçu des surnoms : Binoclar, à cause de ses lunettes ; Anton (Antoine) ; Capelle, parce qu’il avait démoli une chapelle ?
Le travail des P.G est rémunéré. Le salaire, fixé par la Wehrmacht, varie en fonction de l’emploi. Les prisonniers touchent celui ci en « Lagerfeld » ou argent de camp. Cette monnaie n’a cours que dans un circuit commercial limité, propre au système des camps. Cet argent peut servir à divers achats permis tels que savon, eau de Cologne, objets de toilette...
Mais surtout les prisonniers peuvent périodiquement envoyer de l’argent à leur famille en France. Tout autre argent est interdit.
Début 1941, GUIRONNET est occupé depuis quelques jours, avec LEBLOND, à passer du badigeon sur les murs. Son échelle, mal fixée, glisse sur le sol... Marius Gaston tombe et se casse le poignet droit. Soignée par le médecin Kossoër, la fracture, mal réparée, laissera quelques séquelles à Marius Gaston... et lui vaudra une petite pension militaire.
Pour cet important chantier, les prisonniers déchargent des camions de matériel, transportent les matériaux de construction à la brouette. L’ami DREVET est chargé de la manœuvre du monte charge. Ce qui lui permet de sympathiser un peu avec GOUZY.
« C’est un fait qu’il y eut des grèves de P.G. Or il faut imaginer ce que pouvait être une grève dans les conditions de la captivité, sous la menace de sentinelles armées. Ces grèves eurent, il est vrai, souvent pour objet le refus de certaines conditions de travail. Elles furent toujours courtes, parfois une demi-journée, mais bien souvent couronnées de succès... » (Yves DURAND).
C’est ce que raconte Marius Gaston GUIRONNET : un jour, le chef de chantier Anton ; « il était pas sympa ! » ; ne trouve personne pour décharger les camions et se coltiner les sacs de ciment.
« Le cabo (caporal) de service nous avait tout supprimé : le courrier, les colis... Alors, on a tous refusé de travailler. Et on a été se plaindre à Tommix ; qui lui aimait les gens et trouvait toujours des volontaires. Il s’est débrouillé et tout s’est arrangé. Et deux jours à peine après il m’a dit : tu as vu, le cabo il est parti ! » En effet, il avait disparu, muté dans on ne sait quelle unité sur le front.
La vie au Kommando
- La maison où est logé le Kommando 292
Le logement « Le bâtiment que nous occupions, un peu en dehors de la ville, à flanc de colline, avait autrefois servi de maison de repos pour personnes convalescentes, il était de construction un peu ancienne, et solide. Un autre bâtiment semblable était à proximité, il a accueilli à peu près en même temps que nous, venant de Bocholt, un autre kommando de cent prisonniers français (n° 293) envoyé à Waldbröl pour faire des travaux agricoles dans les fermes. Nous n’étions jamais ensemble, chaque kommando avait son « logement » et ses propres gardiens.
A part les conditions de travail, les conditions de vie se ressemblaient dans les deux kommandos. Pour le logement, nous étions sûrement plus favorisés que la plupart des prisonniers de guerre. Les lits étaient durs, planches et paillasses, nous avions des couvertures, pas de draps.
Nous avions l’eau courante à volonté, suffisamment de robinets pour nous laver sans problèmes, à l’eau froide, dans une grande pièce à cet usage, des WC intérieurs avec chasse d’au faciles à tenir propres. Nous avions des poêles pour nous chauffer en hiver, dans notre bâtiment aux murs épais gardant mieux la chaleur. »
« Nous n’étions pas trop entassés, lits à deux étages et non trois comme parfois ailleurs, grande salle avec grandes tables pour le réfectoire, peu de place pour les affaires personnelles, nous n’en avions pas beaucoup. »
- La maison du Kommando
« La nourriture au kommando était certainement moins variée que dans les fermes, et pas aussi bonne. Mais elle était préparée par des civils de la cantine des travailleurs du K.d.F dans de parfaites conditions de propreté, et dans ce pays de culture nous avons toujours eu, sauf les dernières semaines, des pommes de terre en suffisance, alors que dans les kommandos de la Ruhr les prisonniers mangeaient depuis longtemps des rutabagas. Il y avait donc suffisamment de légumes et de laitage, mais très peu de viande, pas de fruits, une sorte de pain complet très dur qui nous était mesuré, et jamais de vin ni bière aux repas. Au bout d’un certain temps, nous avons pu acheter le dimanche un tonnelet de bière brune peu alcoolisée, payée avec le Lagerfeld.
Les colis envoyés par les familles, et par la suite les biscuits et colis venant de la Croix Rouge, apportaient un complément et un peu de diversité aux repas. » ( Souvenirs de Jean GOUZY).
- La maison du Kommando
Etre prisonnier c’est toujours subir une existence imposée. Il est coupé de son pays et de sa famille. La responsabilité de sa vie lui est enlevée. Les hommes du kommando 292 sont enfermés pour la nuit au premier étage du bâtiment, le poste de garde est au rez de chaussée. Pour plus de sécurité, on confisque pantalons et chaussures aux prisonniers, « des fois qu’on aurait eu envie de partir...on était si bien ! » comme le raconte, avec son humour habituel, Marius Gaston.
Aufstehen !
« Tous les matins entre 5 heures et 6 heures 30 selon les camps et selon la saison, un peu plus tôt l’été, un peu plus tard l’hiver, les baraques retentissent des « Aufstehen » hurlés par les chefs de baraques allemands... Lentement les hommes engourdis dans les mauvaises couches de leur bat-flanc s’éveillent. Ils n’ont pas envie de se lever, ne sont pas pressés de retrouver encore un de ces mornes jours sans perspective qui font pendant des mois le quotidien de leur existence captive...
A 8 heures, c’est l’appel, le premier de la journée. Opération routinière qui prend en maintes occasions les proportions d’un événement dans le souvenir de tous les P.G. Car, pour faire enrager les Allemands... on s’arrange pour rendre les dénombrements difficiles...
Même quand les P.G n’y mettent pas de mauvaise volonté, il est rare que les gardiens arrivent à compter du premier coup sans erreur tous ces hommes... Les sous officiers allemands comptent les rangs
en passant lentement devant les hommes rassemblés, puis ils se livrent à de savants calculs qui, immanquablement, aboutissent à des erreurs. Alors ils recommencent, une fois, deux fois, appelant à la rescousse les gardiens présents, pensant obtenir à plusieurs un meilleur résultat jusqu’au moment où, satisfait ou résigné, le sous officier allemand finit par trouver dans les rangs dont il a la charge son compte de P.G. » (Yves DURAND).
A Waldbröl, les appels se passent souvent à l’extérieur, des barbelés délimitent une surface assez grande où les K.G peuvent prendre l’air en étant gardés.
Le courrier : « Les lettres, on le devine, arrivent peu souvent et malaisément. Au début de la captivité, nul, d’ailleurs, ne sait très bien où est qui... Pour écrire, il faut donc savoir où se trouve le prisonnier. Plusieurs organismes, dont le Centre national d’information des prisonniers de guerre, répondent aux demandes. Paraissent des fascicules (donnant les lieux des camps et les noms des prisonniers)... Lorsque les lettres arrivent enfin (en décembre elles mettront encore de quinze à quarante jours pour aller de France en Allemagne), elles ne disent rien... » (Henri Amouroux « Quarante millions de pétainistes »).
Les censures allemandes et françaises contrôlent le nombre et la longueur des lettres écrites à sa famille. Elles sont limitées à vingt-cinq lignes de texte, et pour les cartes à sept lignes ; deux par mois seulement sont autorisées. Celles que les K.G reçoivent sont systématiquement soumises à la censure des autorités allemandes.
- Groupe de prisonniers à Waldbrol
Un groupe du kommando 292 à Waldbröl (début 1941 ?). Du numéro 1 en haut à gauche au numéro 38 en bas à droite, on reconnaît : 1 Leblond / 5 Lordon / 7 Melsen / 8 Fournier / 11 Pallan / 12 Gaubert / 15 Delbacre / 16 Guironnet / 17 Lecoq Ste Marie / 19 Couvreur / 23 Catenne / 25 Capdevielle / 27 Drevet / 28 Perbost / 29 Verchère / 30 Legrand / 32 Poirrié / 33 Delassus / 34 Clément-Guy / 36 Gouzy/ 37 Blaison. |
Au verso de la photo précédente, la belle écriture de Marius Gaston nous est familière. Il écrit à son frère Fernand, lui aussi prisonnier des Allemands... On remarque le tampon « M. Stammlager VI.G Geprüft » Cela veut dire vérifié. Il s’agit de la censure du courrier.
Les fouilles : « dans le rythme des mois... il existe des épisodes prévus, programmés, dont on sait qu’il faut s’y attendre périodiquement, sans savoir cependant quand exactement ils se produiront. Ce sont les fouilles. Comme celui des appels, le souvenir des fouilles fait inévitablement partie des récits des P.G... » Les affaires personnelles, le contenu des colis reçus : tout est vérifié.
L’homme de confiance : « L’organisation d’un encadrement désigné par les P. G eux-mêmes était prévue par la Convention de Genève. C’était l’institution des hommes de confiance... »
A partir du printemps 1941, ils se mettent progressivement en place. « Dans les Commandos, la désignation par l’ensemble des hommes était possible et devint peu à peu la règle, les hommes choisis s’étant d’ailleurs le plus souvent signalés dès l’origine comme intermédiaires efficaces entre leurs camarades et les gardiens... ». GOUZY devient « Vertrauensmann » (homme de confiance) au cours de 1941. Connaissant bien la langue allemande, il sert aussi d’interprète.
Marius Gaston, grâce aux « cours » que donne GOUZY à ceux qui le souhaitent, apprend à lire et à parler allemand. C’est l’un de ceux qui s’appliquent le plus à comprendre cette langue étrangère. Au kommando, les K.G disposent de livres scolaires, grammaire et exercices, pour s’entraîner pendant leurs loisirs.
A Waldbröl, « on a eu aussi le droit de commander certains journaux ou périodiques français, comme le Petit Parisien, l’Oeuvre, Je suis partout, la Gerbe, l’Illustration, etc... Les commandes étaient faites pour trois mois... Mais il est sûr qu’il n’arrivait pas constamment des journaux pour le kommando...Les envois étaient plus réduits que les commandes !
Jean GOUZY explique : « Au fil des mois, bien des choses se sont modifiées, beaucoup de nos camarades ont été transférés ailleurs, d’autres inversement sont venus à Waldbröl... Puis sont arrivés des prisonniers russes, des prisonniers serbes, beaucoup de camarades ont changé de travail, aucun Français n’a plus travaillé au K.d.F, et à un certain moment, vers 1943, les prisonniers des kommandos 292 et 293 ont été réunis en un seul kommando 292. Ensemble nous étions moins de cent... Il ne faut donc pas croire que le kommando 292 est resté immuable de juillet 1940 à avril 1945. Pour une période aussi longue, les arrivées ou les départs parfois massifs se sont succédé sans régularité. Des cent du début, il restait une douzaine de prisonniers seulement parmi les soixante dix neuf présents au kommando le 29 janvier 1945. C’est à dire qu’une cinquantaine des soixante environ de cette photo avaient, à des dates variées, cessé de montrer leur figure, remplacés épisodiquement par d’autres noms et d’autres physionomies. »
C’est fin 1940 (début 41 ?) qu’arrive à Waldbröl Maurice ODOUL. Né en octobre 1912, ce cultivateur originaire de la Lozère est marié et père de deux enfants. Mitrailleur au 55e B.M.I, il est fait prisonnier le 15 juin 1940 à Bernay, dans l’Eure. ODOUL arrive du camp de Bonn, là où il a été immatriculé sous le n°24726. Il va devenir l’inséparable ami de M.G GUIRONNET.
- Maurice Odoul